Aller au contenu
  • Amakusaplana acroporae, prédateur d'Acropora


    olivier26
    • Les progrès de la maintenance en aquarium des coraux depuis ces dernières années ont conduit à la découverte de certains parasites. Ainsi, les efforts déployés pour la conservation des coraux du genre Acropora dans des aquariums ont favorisé l’introduction d'un ver plat connu sous le nom d’Acropora Eating FlatWorm (A. E. F. W), qui, s'il n'est pas éliminé, peut se nourrir au dépend de colonies entières...

     Share

    1. Publications

    L’étude du cycle biologique de ce polyclade est essentielle pour comprendre la dynamique des populations et l’utilisation d’auxiliaires potentiels. Nous vous proposons de l'aborder avec une première publication parue en 2011 dans le journal Coral Reefs : Taxonomy and life history of the Acropora eating flatworm Amakusaplana acroporae nov. Sp. (Polycladida : Prosthiostomidae. K. A. Rawlinson, • J. A. Gillis, • R. E. Billings, Jr. E. H. Borneman. Coral Reefs, Volume 30, Issue 3, pp.693-705

    Toutefois, ces observations n’ont été faites qu’à partir de colonies infestées en aquarium. Les premières réalisées en milieu clos, ont montré une certaine préférence d'Amakusaplana acroporae pour les espèces Acropora spp. d'Indo-Pacifique ce qui laissait supposer que cet organisme était endémique à cette région. C’est en 2011 qu’une équipe de chercheur a trouvé pour la première fois ce prédateur, dans le milieu naturel. Cette découverte in situ permettra d’étudier les différentes interactions écologiques intra et interspécifiques. Leurs travaux ont été publiés dans un article Discovery of the Corallivorous Polyclad Flatworm, Amakusaplana acroporae, on the Great Barrier Reef, Australia – the First Report from the Wild. Rawlinson KA, Stella JS. 2012. Comme le soulignent les auteurs, “Knowledge of the life history strategies of polyclads is the key to understanding their population dynamics and therefore may also be useful in managing their predatory impact” : la connaissance des stratégies du développement biologique des polyclades est la clé pour comprendre la dynamique des populations et par conséquence, peut servir aussi à gérer l’impact de leur prédation.

    1.jpg
    Amakausaplana acroporae sp. nov. a) Adulte vivant sur Acropora sp. Les flèches signalent un groupe de cicatrices d'alimentation, dues à la prédation (échelle : 5 mm). b) Groupe d'œufs fixés au squelette du corail, à proximité du tissu vivant (échelle 2 mm). c) Ensemble d'œufs dont certains sont éclos et d'autres contiennent de 3 à 7 embryons (échelle 1 mm). d) Individu clairement visible. e) Représentation schématique de la morphologie d'A. acroporae (échelle 5 mm) : br cerveau, ce yeux cérébraux, fg gonopore femelle, m bouche, me yeux marginaux, mg gonopore mâle, ov ovaires, ph pharynx, sg glandes sécrétant les œufs encapsulés, sgp sac de glandes, ut utérus, vd canal déférent.

    Les biologistes, les écologistes et les aquariophiles se sont intéressés à un ver plat, prédateur de coraux spécifiques au genre Acropora, couramment appelé AEFW (Acropora Eating FlatWorm). De nombreux aquariophiles ont observé ce parasite sur différentes espèces d’Acropora (A. valida, A. pulchra, A. millepora, A. tortuosa, A. nana, A. tenuis, A. echinata, A. formosa …), et si aucune action de lutte n’est réalisée, leur prédation conduit à la mort de la colonie.

    Les invertébrés corallivores peuvent jouer un rôle important sur la santé des coraux, infligeant des dégâts mineurs ou majeurs sur leurs hôtes. Ils sont également impliqués dans la transmission des maladies ou l'augmentation de leur vulnérabilité à ces maladies.

    La description morphologique de AEFW a montré qu’il appartenait à l'embranchement des plathelminthes et à l’ordre Polycladida. Plusieurs espèces de polyclades ont été observées, vivant en association avec des cnidaires mais la prédation, identifiée par la présence de nématocystes dans l’estomac du ver, n’a été prouvée que dans quelques cas. Deux espèces de vers plats polyclades sont connus pour s’attaquer aux coraux, mais il n’existe que très peu de retours concernant leurs impacts sur les récifs coralliens.

    La connaissance du cycle biologique du prédateur est alors indispensable à la compréhension de la dynamique de la population. Le but de la première étude est d’identifier un parasite appartenant aux vers plats et de recueillir les premières données sur son cycle biologique.

    L’objectif de la deuxième étude est de comprendre le développement de ce prédateur dans le milieu naturel et d’identifier les interactions avec les autres organismes présents.

    Dans cette première étude, les auteurs révèlent que ce prédateur est une nouvelle espèce appartenant au sous-ordre Cotylea, à la famille Prosthiostomidae et au genre monospécifique Amakusaplana : « Amakusaplana may be distinguished from other prosthiostomid genera by the absence of a ventral sucker, the presence of a slight median depression in the anterior margin and irregularly scattered eyes in the anterior region of the body (Kato 1938). The type and only other species of Amakusaplana described is Amakusaplana ohshimai (Kato 1938). » : le genre Amakusaplana peut être distingué des autres genres par l'absence d'une ventouse ventrale, par la présence d'une légère dépression médiane et par des yeux irrégulièrement disséminés dans la région antérieure du corps. En utilisant des techniques morphologiques, histologiques et moléculaires les auteurs ont identifié le ver plat polyclade : Amakusaplana acroporae trouvé sur les colonies d'Acropora autour de l'île de Lizard, ce qui constitue le premier rapport de la découverte de cet animal à l'état sauvage.

    La présence de l'algue Symbiodinium et de nématocystes dans l'intestin et le parenchyme, fournit la preuve que A. acroporae est un corallivore dans son habitat naturel comme il l'est dans nos aquariums. Aucune autre proie n’a été observée dans l'intestin de A. acroporae indiquant très certainement qu’il est un corallivore obligatoire (comme cela a été démontré chez un autre polyclade prédateur de scléractiniaires  : Prosthiostomum montiporae).

    Mais, n’ayant pas accès à l’autre polyclade prédateur Amakusaplana ohshimai pour comparer avec l'analyse morphologique et moléculaire d’Amakusaplana acroporae, les auteurs ne peuvent pas exclure la possibilité que les deux espèces n’en soient en réalité qu’une seule. Les caractères qui distinguent ces deux espèces (nombre d'yeux, arrangement de l'œil, morphométrie des systèmes reproducteurs mâles et femelles et la présence d'une chambre d’œufs), varient en fonction de la longueur du corps et de la maturité sexuelle de l’individu. Cela souligne la nécessité d'inclure dans les descriptions futures de ces espèces, les changements dans les caractères morphologiques au cours du développement, à l'intérieur et entre les populations.

    Sa coloration cryptique ainsi que sa petite taille, rend difficile la détection de ce prédateur, d'où son introduction aisée dans les aquariums.

    2. Discussion

    Tous les polyclades sont hermaphrodites (tous les individus sont à la fois mâles et femelles), mais ils ne peuvent pas s'auto féconder.

    L’observation directe a été réalisée à partir d’individus prélevés en 2009 dans l’aquarium Long Island Aquarium & Exhibition Center (anciennement Atlantis Marine World), Long Island, NY. Les données sur le développement biologique ont été recueillies à partir d’observations d’embryons vivants dans les capsules d’œufs, attachées au squelette du corail. Sa répartition à l’état sauvage est pour l’instant inconnue bien que les auteurs ont montré qu'A. acroporae  sp. était certainement originaire de l’Indo pacifique du fait de sa préférence pour les hôtes issus de cette région. Sa non-détection dans le milieu naturel est certainement due au fait que ce prédateur est petit et difficile à détecter en raison de son camouflage sur le corail hôte.

    Selon les auteurs : « The worms showed a brown reticulate pattern of coloration on a white background, and this coloration is due to coral tissue and zooxanthellae inside the gut and parenchyma. Accordingly, the polyclads camouflage very effectively against the Acropora sp. and are found closely appressed to its external surface. Feeding scars on the coral tissue and egg batches on the coral skeleton are generally the first indication that the worms are present” : les vers ont montré un motif réticulé de coloration brune sur un fond blanc et cette coloration est due aux tissus des coraux et aux zooxanthelles présentes à l'intérieur de l'intestin et du parenchyme. En conséquence, les polyclades se camouflent efficacement sur les Acropora sp. et se retrouvent étroitement collés sur sa surface externe. Les cicatrices d'alimentation sur le tissu corallien et les lots d'œufs sur le squelette du corail sont généralement la première indication que les vers sont présents (illustration).

    Les œufs sont protégés de l'environnement et des prédateurs dans une capsule et plusieurs capsules forment une plaque collée sur un substrat en l’occurrence la partie morte du squelette du corail.

    Certaines espèces de polyclades subissent un développement indirect. En effet après l’éclosion la larve doit se nourrir dans la colonne d'eau avant de s'installer sur le substrat et se métamorphoser en adulte. Ce stade larvaire pourrait augmenter le potentiel de dispersion de l'espèce et donc, maximiser les chances de trouver un habitat convenable pour les adultes. D'autres espèces se développent directement à partir d'embryons et deviennent des adultes sans passer par un stade larvaire et, par conséquent, peuvent avoir un potentiel de dispersion plus limité. Enfin, il existe des modes intermédiaires de développement qui ne sont ni directs ni indirects, comme on le voit chez A. acroporae.

    Les auteurs suggèrent que pour A. acroporae le potentiel de dispersion limité peut avoir évolué en parallèle avec la spécificité des proies (c’est à dire corallivore) : « In A. acroporae, limited dispersal potential may have evolved in concert with prey specificity ( i.e. corallivory )”.

    A. acroporae pond sur la partie morte du corail 20 à 26 capsules d’œufs dont chaque capsule contient 3 à 7 embryons. Le développement embryonnaire dure environ 21 jours pour cette espèce. La larve de petite taille (0,3 mm x 0,1 mm), est capable de se mouvoir mais s’installe rapidement sur le corail. Cette espèce réalise une métamorphose intracapsulaire ce qui traduit une faible dispersion des nouveaux-nés et un recrutement sur le corail où ils sont nés. Des zooxanthelles et des nématocystes ont été observés dans l’intestin même des nouveau-nés , mais aussi dans leur parenchyme, montrant que les larves sont capables de se nourrir immédiatement du tissu des coraux.

    Les individus examinés dans le milieu naturel ayant une longueur de corps inférieure à 4 mm ont un système de reproduction à la fois mâle et femelle, mais ils sont immatures. Les individus supérieurs à 4 mm avaient, eux, des systèmes reproducteurs mâles et femelles matures. L’évolution de la maturité sexuelle en fonction de l’augmentation de la longueur du corps indique que l’animal a développé un mode de reproduction séquentiel et hermaphrodite simultané.

    A. acroporae réalise une morsure circulaire sur le tissu d'Acropora sp. en utilisant son pharynx en forme de tube et absorbe le tissu corallien. L’évitement ou la digestion par le prédateur des défenses du corail (nématocystes) est inconnu.

    Aucun dommage tissulaire n'était évident sur les colonies d'Acropora sp. échantillonnées dans le milieu naturel. Cela peut, en partie, être dû à la faible abondance de polyclades prédateurs (en moyenne moins de trois vers par colonie) ou par la présence de prédateurs naturels dans la colonie de corail. Des crabes de corail, appartenant au genre Tetralia, sont présents à des taux élevés sur les colonies d’Acropora sp. et sont connus pour fournir à l'hôte des services de nettoyage. Les auteurs soulignent qu’il est possible que ces crabes mangent les vers et des capsules d’œufs, contrôlant ainsi la quantité de vers. Il est également possible que A. acroporae ne devienne un ravageur important, que dans les systèmes où le corail est stressé, comme c'est le cas avec P. montiporae.

    Le mimétisme de l'adulte vis à vis du corail et la capacité de la larve à se déplacer sur le squelette sans passer par une phase libre en pleine eau, traduisent une adaptation pour éviter la prédation.

    Dans le milieu naturel, les colonies d’Acropora sp. prélevées, abritaient également une certaine macrofaune : des crabes de coraux identifiés comme Tetralia nigrolineata, des gobies Gobiodon brochus (nom en cours de validation) et des crevettes Coralliocaris graminea.

    La localisation d'A. acroporae à l'état sauvage et à proximité de la station de recherche de l'île Lizard, va maintenant permettre aux auteurs d'étudier les interactions écologiques, d'évaluer son impact sur le récif et de déterminer si la population est naturellement régulée. Les auteurs espèrent trouver des contrôles biologiques potentiels qui [pourront être utilisés dans les systèmes clos. Il est essentiel d'acquérir des connaissances sur le développement et l'écologie de ces vers polyclades pour la compréhension de son rôle écologique sur les récifs coralliens.

    3. Et le récifal dans tout ça ?

    Il y a actuellement peu de retours d’expériences sur les espèces qui se nourrissent de vers plats polyclades du genre Amakusaplana. Les poissons tels que Thalassoma lunare ont été identifiés pouvant se nourrir de vers plats polyclades dans la nature, mais pas spécifiquement du genre Amakusaplana. Toutefois, les adultes sont souvent consommés par diverses espèces de poissons (Halichoeres chrysus, H. iridis, Macropharyngodon ornatus, Labroides dimidiatus, Synchiropus ocellatus, S. splendidus, Pseudocheilinus hexataenia…) mais seulement lorsqu’ils sont délogés du corail.

    Dans le milieu naturel il y a de fortes chances que A. acroporae n’ait pas qu’un seul prédateur mais plutôt plusieurs, à différents stades de son cycle de vie.

    La période la plus sensible correspond très certainement au stade juvénile durant lequel la larve est « baladeuse » et pas encore fixée sur son hôte. Dans ces conditions, les crabes « symbiotiques » du genre Tetralia semblent être les auxiliaires les mieux équipés pour déloger les intrus.

    Actuellement, on ne connaît pas de prédateur efficace que l’on pourrait introduire dans le bac pour juguler rapidement l’infestation. Le traitement chimique est donc inévitable. Un traitement du bac d’ensemble est pour l’instant difficile à réaliser, tant les contraintes sont nombreuses et les interactions entre les multiples composés sont importantes. Les traitements chimiques se basent sur des molécules qui n’ont pour beaucoup, jamais été étudiées dans le milieu marin. Leur devenir dans cet environnement particulier (pH élevé, nombreux éléments chimiques) est inconnu. Il s'agit sont souvent de grosses molécules qui entrent en interaction avec d’autres composés chimiques, qui cassent la molécule de base en différents métabolites secondaires et dont on connaît encore moins l'action sur le milieu.

    Toutes ces inconnues imposent de réaliser un traitement curatif à l’extérieur du bac. Ce dernier sera, de plus, beaucoup plus efficace car localisé et avec une posologie adaptée. Enfin, l’observation individuelle de chaque animal nous apprendra beaucoup sur le cycle biologique de l’animal.

    Bien sûr, il n’est pas toujours évident de sortir les animaux du bac mais je pense qu’il faut tout mettre en œuvre pour sauver ces animaux sans toutefois mettre en péril le reste de la population. Dans tous les cas, Amakusaplana acroporae semble être plus résistant à l’utilisation de produits chimiques que d’autres planaires.

    La liste est loin d’être exhaustive et les firmes ne manquent pas d’imagination pour affirmer que leur produit est le meilleur, sans bien sûr préciser la nature de la matière active. On peut citer de façon non exhaustive les produits : Salifert Flatworm, Corail RX, Fauna Marin Pest Control, Seachem Reef Dip

    Une solution à base de lugol peut également être utilisée au dosage de 1 ml/l bien qu'elle ne soit pas toujours efficace.

    Le lévamisole est le produit sur lequel on a un retour d’expérience intéressant. Utilisé de longue date en aquariophilie contre les vers plats du genre Convolutriloba, ce produit est efficace aussi contre Amakusaplana mais à des doses supérieures. Pourtant le lévamisole utilisé normalement sur les mammifères n’est efficace que contre les vers ronds (nématodes) et pas contre les plathelminthes (planaires). Je ne m’explique pas cette efficacité sur les vers plats dans l’eau, la dégradation possible de la matière active en métabolites secondaires dans l’eau peut traduire cette action.

    D'autres médicaments peuvent être utilisés tels que Levisole, Milbemax ou Dolthène. Leur dosage est proposé à titre indicatif, dans le tableau ci-dessous, pour un traitement en dehors du bac.

    Traitements potentiels
    Nom commercial Matière active Dosage envisageable du produit commercial Observations
    Levisole Chlorhydrate de
    lévamisole
    40 mg/l Normalement nématocide seulement mais action contre les plathelminthes
    Milbemax Oxime de
    milbémycine
    praziquantel
    2,3 mg pour 150 l Milbemax est constitué de deux matières actives : l'oxime de milbémycine et le praziquantel. L'oxime de milbémycine permet de lutter contre les vers ronds, il semble être efficace contre Tegastes acroporanus (l’Interceptor n’étant plus en vente). Le prazinquantel a une action vermifuge à la fois contre les nématodes (vers ronds) et contre les plathelminthes (vers plats). Efficace pour éliminer Amakusaplana acroporae.
    Dolthène Oxfendazole 11 mg pour 10 l Antihelminthique qui agit sur les plathelminthes

    Pour traiter de faibles quantités, il est conseillé de réaliser des solutions mères afin d'obtenir une précision acceptable.

    Il est conseillé de répéter plusieurs traitements successifs, tous les huit à dix jours, du fait de la présence de forme de résistance (œufs) dans le cycle biologique de l'organisme.

     

    Olivier SOULAT

    Article publié par Cap Récifal le 08 novembre 2013 avec l'aimable autorisation de l'auteur.

    Sujet de discussion sur le forum.

     Share


    Retour utilisateur

    Commentaires recommandés

    Il n’y a aucun commentaire à afficher.



    Invité
    Cet élément ne peut plus recevoir de commentaires supplémentaires.

×
×
  • Créer...

Information importante

En poursuivant votre navigation, vous acceptez l’utilisation des cookies pour vous proposer des contenus adaptés à vos centres d’intérêt et réaliser des mesures pour améliorer votre expérience sur le site. Pour en savoir plus et gérer vos paramètres, cliquez ici