On pourrait épiloguer longtemps sur les diverses manières de mettre un bac en route. Un amateur expérimenté peut, par exemple, déménager, faire un « reset » d’une installation vieillissante ou changer son aquarium pour un autre de volume supérieur en réutilisant tout ou partie du décor et des animaux du bac précédent. Le déséquilibre engendré ne sera que de courte durée et le transfert se fera généralement sans perte. Pour l’aider dans cette tache et un retour plus rapide à l’équilibre, il pourra utiliser des souches de bactéries pour restaurer leur diversité (Biodigest de Prodibio, ZeoBak de Korallen-zucht, Microbacter 7 de Brightwell Aquatics, etc.)
Un professionnel, disposant du matériel nécessaire et de pierres vivantes déjà conditionnées, pourra installer un aquarium viable en seulement une journée à l’occasion d’une exposition animalière temporaire. Mais une expérience incontournable pour l’éducation d’un aquariophile récifal est la mise en route d’un bac neuf à partir de pierres vivantes fraîchement importées et non acclimatées, gage de biodiversité future.
1. Fondations
Sels « marins » ou sels « récifaux » ?
Les algues utilisent pour la photosynthèse et leur croissance l’énergie de la lumière, du gaz carbonique, des nutriments azotés et phosphorés mais également des éléments majeurs comme le calcium, le magnésium et le potassium ainsi que des éléments mineurs comme le fer, le bore, le molybdène, le manganèse, le zinc et le silicium, entre autres éléments dont la concentration est souvent plus élevée dans les sels enrichis. Il est préférable, car plus rapide, de démarrer l’aquarium avec des sels « pauvres ».
Le projet longuement réfléchi et déterminé (taille de l’aquarium, emplacement et biotope), le matériel de base acheté (cuves, écumeur, pompes de brassage et de relevage, éclairage, système de compensation d’évaporation, chauffage et éventuellement refroidisseur), la « plomberie » installée et l’étanchéité testée à l’eau du robinet, il sera temps de le remplir d’eau osmosée. Une fois la circulation d’eau établie entre l’aquarium et la cuve annexe, elle sera chauffée, brassée et aérée (venturi sur les pompes et écumeur) puis il faudra la saler à la densité voulue.
Les premiers sels à utiliser se doivent d’être des sels dits « marins », moins riches en oligo-éléments que les sels dits « récifaux » (voir l’encadré et la rubrique Retour aux sources dans ZebrasO’mag n°3). Une eau trop riche ajouterait encore aux nutriments et oligo-éléments déjà disponibles lors de la phase algale et ralentirait l’appauvrissement du milieu, étape nécessaire pour créer un environnement favorable à l’introduction des premiers coraux. À ce stade, l’aquarium, qui n’est encore qu’un objet, est prêt à recevoir les pierres vivantes pour entamer sa phase de démarrage et devenir un biotope.
2. Cycle de l’azote
Les pierres vivantes ont été préparées (voir la rubrique Expérience dans ZebrasO’mag n°1) puis mises dans le bac, sans souci esthétique pour l’instant mais en veillant à ce qu’elles soient brassées du mieux possible et de façon à pouvoir siphonner la majorité des sédiments qu’elles vont libérer. Il sera préférable, pour ceux qui veulent mettre du sable comme substrat de fond dans leur aquarium, d’attendre la fin du premier mois avant son installation, en veillant bien à éliminer tous les sédiments au préalable et à profiter de ce moment pour créer le décor désiré.
De nombreuses réactions vont se produire et favoriser l’établissement des acteurs du cycle de l’azote pendant les premières semaines. Ces pierres vivantes ont été sorties de leur eau native, ce qui a entraîné la mort et la décomposition de nombreux organismes sous forme de déchets organiques. C’est une source d’énergie qui va déclencher la prolifération d’une première vague de bactéries aérobies (Bacillus, Bacterium et Microcosus) transformant l’azote organique en azote ammoniacal : c’est l’ammonisation. Cette première étape va fournir à son tour la matière nécessaire au développement d’autres bactéries (Nitrosococcus, Nitrosomonas, Nitrosocystis, Nitrosospira, Nitrosogle etc.) qui vont oxyder les ions ammonium en nitrites : c’est la nitrosation. Les nitrites, à leur tour, permettent alors l’établissement de bactéries (Nitrospira, Nitrobacter, Nitrocystis, Bactoderma, Microderma, etc.), qui les oxydent en nitrates : c’est la nitratation. Ces deux actions, nitrosation et nitratation, constituent la nitrification. Puis, encore d’autres bactéries (Achromobacter, Aerobacter, Pseudomonas, Thiobacillus, etc.) vont spontanément réduire, par étapes successives, ces nitrates en azote gazeux, bouclant ainsi le cycle de l’azote : c’est la dénitrification, qui se réalise dans les milieux pauvres en oxygène, par exemple à l’intérieur des pierres vivantes et dans les lits de sable.
En fonction de la quantité d’énergie fournie par chaque étape du cycle de l’azote, des populations bactériennes différentes se développent pour former les premiers colons de taille microscopique. Chacune de ces phases pourra être suivie à l’aide de tests aquariophiles, particulièrement les tests des concentrations en nitrites et nitrates. Ils permettent de suivre les pics successifs, consignés dans un « carnet de bord », et de déterminer le moment propice à l’introduction des premiers habitants de l’aquarium (poissons et invertébrés herbivores et détritivores). Le test de la concentration en nitrates devrait annoncer une valeur indétectable avant le début du peuplement. Il faut compter environ un mois pour arriver à ce stade.
Quantité de pierres vivantes ?
Dans la méthode berlinoise, un ratio de 25% du volume ou encore 20 kg par tranche de 100 litres était préconisé pour obtenir suffisamment de surfaces de colonisation pour l’établissement des bactéries épuratrices. Depuis les années 2000 et l’avènement des méthodes Zeovit, puis plus tard des réacteurs à bactéries, ce ratio est fortement diminué. La moitié suffit généralement et on privilégie de nos jours un décor très aéré, presque minimaliste, pour favoriser la circulation de l’eau et l’esthétique du décor. Il faut néanmoins prévoir non seulement des espaces de nage pour les poissons mais aussi de nombreuses cachettes pour qu’ils se sentent en sécurité.
Pour l’épuration, la méthode berlinoise repose sur deux piliers que sont les supports biologiques, pierres et sable vivants, et l’écumeur.
L'écumeur retire de l’eau une grande partie des composés organiques dissous avant leur transformation en nutriments (nitrates, phosphates). L’écumeur sera mis en route dès le premier jour.
Utiliser du charbon actif, de la meilleure qualité (donc dépourvu de phosphate), sera bénéfique pour éliminer les toxines et les colorants organiques jaunâtres. L’utilisation passive du charbon immergé consiste à en déposer une grande quantité, jusqu’à 500 grammes pour 100 litres, dans un sac au fond de la cuve technique, et à renouveler cette dose tous les deux à trois mois. Les réacteurs à lit fluidifié permettent désormais d’utiliser plus efficacement des quantités moindres (50 à 100 grammes pour 100 litres) qu’il faut en revanche renouveler plus souvent.
La compensation d’eau évaporée pourra se faire avec de l’eau de chaux : elle reconstitue le pouvoir tampon, mis à mal par la production d’acide liée à l’épuration naturelle des déchets ; elle neutralise le dioxyde de carbone disponible pour le développement des algues indésirables ; elle précipite les phosphates dissous. On peut également utiliser une « résine » à base d’oxydes ferriques pour éviter une augmentation possible de la concentration en phosphates à ce stade.
3. Succession algale
Les algues sont des colonisatrices primaires et leur développement est une phase incontournable. Dès les premiers jours, les diatomées recouvrent le décor d’une pellicule brune. Elles sont suivies par des cyanobactéries et des algues filamenteuses diverses (Derbesia, Bryopsis, Enteromorpha, etc.). Puis, les macro-algues (Caulerpa, Dyctiota, Halimeda, etc. : la liste est très longue !), dont la variété dépend de la richesse intime des roches vivantes, s’installent à leur tour en privant les algues inférieures de nutriments.
Le bon côté de ces proliférations algales est qu'en même temps qu’elles épurent le milieu, elles servent d’abri et de source de nourriture propices au développement de colonies diverses et importantes de micro-organismes millimétriques. Cette microfaune enrichit la biodiversité de l’aquarium et contribue à sa stabilité à différents égards : d’abord, elle constitue une équipe de détritivores bénéfiques à la santé de l’aquarium ; d’autre part, il s’agit d’une source de nourriture qui forme, avec les bactéries et les algues, les premiers maillons de la chaîne alimentaire. L’introduction prématurée de microphages dans l’aquarium est préjudiciable à l’établissement de ces micro-populations vitales.
On suggérait de laisser la lumière éteinte pendant cette période pour deux raisons principales : un éclairage intensif favorise une prolifération envahissante d’algues inférieures et nuit au développement des bactéries de la dénitrification. Mais d’un autre côté, il n’est pas rare que des algues supérieures arrivent avec les pierres vivantes et il est bon de stimuler leur croissance au détriment des algues filamenteuses, et ce dès la mise en place des pierres. Cette concurrence sera bénéfique et permettra également à une microfaune variée de se développer. D’éventuels coraux amenés par les pierres vivantes, endommagés ou sous forme larvaire, peuvent ainsi avoir une meilleure chance de survie. Entre laisser dans le noir total et éclairer 12 heures par jour, il y a des variantes à adapter en fonction de la sensibilité de l’aquariophile. On peut par exemple ne pas éclairer ou faiblement avec des tubes bleus pendant les 3 premières semaines, pour allumer progressivement l’éclairage principal de plus en plus longtemps jusqu’à une photopériode normale de 12 heures pour favoriser la pousse des algues supérieures.
Enfin, alors que les algues supérieures s’installent durablement ou disparaissent à leur tour, les algues calcaires, et en particulier les corallines, vont coloniser les pierres vivantes, le matériel et les parois de l’aquarium. Ce signal marque la fin de la période de démarrage, dont la durée moyenne est de l’ordre de trois mois, et permet l’introduction des premiers coraux. Cela ne veut pas dire que le bac est définitivement stable et son équilibre sera encore perturbé par l’introduction des poissons.
4. Étapes du peuplement
Chaque nouvel arrivant entraîne une augmentation de la charge organique à laquelle l’aquarium doit s’adapter. Toutefois, l’impact reste faible si l’on prend la précaution d’introduire les animaux peu à peu, en laissant le temps aux populations bactériennes de s’équilibrer avant le prochain rajout. Dès que les nitrites sont indétectables, il faudra entamer la lutte contre les algues, qui poussent naturellement dans les aquariums même les mieux tenus, en introduisant les premières équipes d’entretien, composées d’animaux centimétriques : des herbivores (escargots divers, oursins, etc.) et des détritivores (Bernard l’ermite, ophiures, étoiles de mer, crevettes, etc.).
On attendra sagement la chute des nitrates à un niveau indétectable pour acquérir les premiers poissons. Ceux-ci ne doivent être que des poissons utiles et majoritairement herbivores. Pas de poissons « coup de cœur » ou généralement sans aucun bénéfice pour l’aquarium. Les poissons-clowns, poissons-anges, bancs de demoiselles, labres et autres prédateurs de microfaune, resteront chez le détaillant ! Ils n’apporteraient qu’une charge organique supplémentaire et/ou une prédation indésirable à ce stade de développement. Nos premiers choix se porteront donc vers les poissons-chirurgiens des genres Acanthurus, Zebrasoma, Ctenochaetus, Siganus et d’autres herbivores tels Amblygobius, Salarias, etc. Leur taille et leur nombre sera en fonction du volume du bac. Toutefois, il peut être envisageable d’introduire également, dès le début, des poissons ayant une autre utilité, tels que Chelmon rostratus ou Acreichthys tomentosus, pour lutter contre des indésirables (Aiptasia sp., Anemonia majano, etc.) ou pour des raisons de territorialité rendant leur introduction ultérieure plus risquée.
5. Calendrier récapitulatif
Dans les premiers jours, l’ammonisation se traduit par un pic ammoniacal qui diminue dès que les bactéries de la nitrosation sont en nombre suffisant pour oxyder l’ammonium. Il en résulte généralement un pic de nitrites dans les deux semaines suivantes, mais celui-ci peut passer inaperçu. Les bactéries de la nitratation oxydent à leur tour les nitrites et produisent une hausse de la concentration en nitrates, mettant un terme à la nitrification. Ce sera au tour des bactéries anaérobies de réduire les nitrates en azote gazeux, qui se dissipera dans l’atmosphère. Cette étape permet ainsi à l’aquarium d’être viable pour les invertébrés délicats. Les détritivores seront rajoutés dès que les nitrites ne seront plus détectables et les premiers poissons herbivores, quand les nitrates le deviendront à leur tour. Entre le deuxième et le troisième mois, sous la pression des herbivores et au fur et à mesure que le milieu s’appauvrit en nutriments, les algues supérieures céderont la place aux corallines. On pourra alors introduire les premiers coraux. On commence traditionnellement par des « coraux mous » (alcyonaires, corallimorphaires, etc.) et éventuellement des coraux durs à grands polypes. Les poissons ornementaux et leurs partenaires éventuels (poissons-clowns et anémones, gobies et crevettes, etc.) pourront alors être introduits petit à petit jusqu’à atteindre la population désirée, en adéquation avec le volume du bac et en fonction de sa capacité d’épuration. L’aquarium s’équilibre durablement entre le huitième et le douzième mois. Il devient suffisamment stable et pauvre en nutriments pour introduire des coraux durs à petits polypes. Ces durées sont bien sûr indicatives et varient selon la qualité des pierres vivantes, la performance du matériel… et votre patience !
Christian SEITZ
Article de Christian Seitz, paru dans ZebrasO’Mag n° 5 de mai 2008 (après correction de la rédaction n’engageant pas
la responsabilité de l'auteur).
Adapté par l’auteur pour Cap Récifal et publié par Cap Récifal le 26 septembre 2013.
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