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  • Coraux scléractiniaires et pH bas


    Trevaly
    • Seules structures d'origine biologique visibles depuis l’espace, les récifs coralliens constituent l’un des plus vastes des écosystèmes de notre planète. Souvent symbolisés par l’image d’une oasis dans le désert, ils abritent une biodiversité jamais égalée au niveau marin et ne sont supplantés, en nombre d’espèces (mais pas en genres), que par la forêt amazonienne.

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    1. Effets de serre

    Seules structures d'origine biologique visibles depuis l’espace, les récifs coralliens constituent l’un des plus vastes des écosystèmes de notre planète. Souvent symbolisés par l’image d’une oasis dans le désert, ils abritent une biodiversité jamais égalée au niveau marin et ne sont supplantés, en nombre d’espèces (mais pas en genres), que par la forêt amazonienne. La bioconstruction (construction minérale d'origine biologique) des récifs coralliens repose principalement sur un groupe d’organismes faisant partie de l’ordre des scléractiniaires, les coraux zooxanthellés hermatypiques. L'efficacité de cette bioconstruction est largement due à la biologie particulière des coraux, et notamment à l'endosymbiose phototrophe (le symbiote, localisé dans les cellules de son hôte utilise l’énergie de la lumière) qu'ils forment avec les micro-algues de la famille des dinoflagellés, les zooxanthelles. Cette symbiose permet un apport d’énergie nécessaire à la survie dans un milieu oligotrophe et à la construction d’un exosquelette d’aragonite.

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    Schématisation du processus d'acidification des océans par le CO2 atmosphérique

    Depuis la révolution industrielle et la généralisation de l’utilisation des énergies fossiles, les taux de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère (principalement le CO2) sont en augmentation constante, avec des concentrations particulièrement élevées depuis les années 90. Leur important forçage radiatif (capacité à réchauffer la terre) a induit une augmentation moyenne des températures des eaux océaniques de plus de 0,6°C lors des 100 dernières années. Ce phénomène a eu pour principal effet une augmentation en fréquence et en intensité des événements de blanchissement corallien. Cependant, si l'impact des stress thermiques sur les coraux est aujourd'hui relativement bien connu, celui d'un autre effet des gaz à effet de serre reste quant à lui plus mystérieux. En effet le CO2 rejeté par les activités humaines influe également sur le pH des océans ! L'absorption du CO2 atmosphérique par les eaux marines a déjà conduit à une diminution de 0,02 unité de pH par décennie ces trois dernières décades, et à une perte de 0,1 unité depuis l’ère préindustrielle. Une telle diminution peut sembler minime, mais elle s’accompagne en réalité d’une chute importante de la concentration en ions carbonates (CO32-), ce qui représente une déviation majeure par rapport aux conditions physico-chimiques de l’eau de mer prévalant depuis plusieurs millions d’années.

    Le squelette des scléractiniaires est composé essentiellement de cristaux d’aragonite (carbonate de calcium CaCO3). Cette biocalcification est dépendante de différentes caractéristiques physico-chimiques de l’eau de mer. C’est notamment le cas de la concentration en calcium (Ca2+), mais également en ions carbonates (CO32-). Ces derniers sont largement impliqués dans le maintien du pH de l’eau de mer via l’effet tampon du couple acide faible/base faible HCO3- / CO32-, or la concentration en ions carbonates (CO32-) se trouve directement reliée à celle du CO2 atmosphérique. En effet, l’océan va capter une part importante de CO2 qui va réagir avec des molécules d’eau pour former l’ion HCO3- (CO2 + H2O => HCO3- + H+), l’ion H+ libéré va alors réagir avec un ion CO32-  et donner l’ion HCO3- (CO32- + H+ => HCO3-). Cette suite de réactions conduit au déplacement de l’équilibre vers le côté acide et donc à l'acidification des océans.

    Dans une quête permanente d'une maintenance toujours plus pointue, l'aquariophile d'aujourd'hui cherche à tout maitriser, notamment les paramètres physico-chimiques de son eau. Des taux de calcium à 450 mg/L, un KH de 7 à 8, des NO3- et des PO42- à des valeurs les plus basses possible (bien souvent hors de nos capacité de détection). Au fil des posts du forum de CR on se rend compte cependant qu'un pH "optimal" n'est pas souvent en première ligne de nos préoccupations. Par "chance" la menace de l'acidification des océans sur les récifs coralliens a conduit de plus en plus d'équipes de recherche à se pencher sur la question de l'impact du pH bas sur la physiologie des coraux scléractiniaires. C'est au travers de la synthèse d'un article choc datant de 2007 que cette problématique va être abordée de façon très superficielle au fil des lignes qui suivent. Publié par  Maoz Fine et Dan Tchernov (Universités israéliennes de Bar-Ilan, Hebrew et Eilat) dans la très prestigieuse revue Science (volume 315, page 1811), cette étude s'intitule "Scleractinian coral species survive and recover from decalcification", soit : « Des espèces de coraux scléractiniaires survivent et se rétablissent d'une décalcification »

    2. Publication : Des espèces de coraux scléractiniaires survivent et se rétablissent  d'une décalcification

    2.1. Objectifs de l'étude

    Dans ce travail, les auteurs ont cherché à découvrir si des coraux placés dans des conditions d'acidification extrême étaient capables de survivre à un tel traitement. Une telle idée vient du fait que les fossiles de coraux sont absents de plusieurs ères géologiques postérieures au Permien (-300 à -250 millions d'années), ère au début de laquelle ils sont apparus. Cette absence de fossiles est très intrigante étant donné que les squelettes coralliens traversent les âges à la perfection, et de façon fort intéressante, il est important de noter que des conditions physico-chimiques de l'eau de mer peu propice à la calcification régnaient à ces époques là. De ces observations, les auteurs ont posé l'hypothèse que les coraux auraient pu survivre durant ces périodes impropres à la calcification sous la forme d'organismes mous dépourvus de squelette. Ils devaient très certainement ressembler aux coraux mous d'aujourd'hui.

    2.2. Les principaux résultats

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    Oculina patagonica, scléractiniaire symbiotique de Méditerranée

    Les premiers effets observés sur les coraux méditerranéens symbiotique Oculina patagonica  (corail colonial à gros polypes) et non symbiotique Madracis pharensis (corail colonial à polypes moyens) soumis à une acidification extrême (pH de 7,3 à 7,6) sont devenus visibles après 1 mois. Les polypes ont tout d'abord grandi en longueur, puis la forme coloniale a disparu suite à une nécrose complète des tissus qui relient les polypes entre eux (tissu généralement appelé coenosarque). Finalement, le squelette a fini par se dissoudre intégralement laissant les polypes attachés au substrat non calcaire qui supportait initialement le squelette.

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    Madracis pharensis, scléractiniaire symbiotique (sauf cas particulier) que l'on retrouve en Méditerranée, en Atlantique Est (de Gilbraltar jusqu'au Cap Vert) et Atlantique tropical Nord-Ouest (Nord de la Floride).

    D'un point de vue physiologique, les modifications observées ont été caractérisées par une croissance de la taille des polypes maintenus dans les conditions d'acidification. En effet, ces derniers étaient 3 fois plus gros que ceux des coraux maintenus dans les aquariums où le pH était normal (pH de 8,1 à 8,3). Par ailleurs, la plupart des individus (30 au total) ont maintenu leur population de symbiotes tout au long de l'expérience (1 an) sauf pour 6 d'entre eux qui ont subi un léger blanchissement (perte des zooxanthelles symbiotiques). La gamétogénèse (maturation des gamètes en vue de la reproduction) n'a quant à elle absolument pas été affectée par le traitement acide.

    Après 12 mois de maintenance à des pH extrêmement bas, certains échantillons survivant au stade polype seul (sans squelette) ont été replacés dans des conditions de calcifications optimales (pH 8,0-8,3). Ces derniers ont rapidement construit à nouveau un squelette et repris une stratégie de vie en colonie. Les échantillons qui sont restés à pH bas vivent encore aujourd'hui au stade corail mou, sous leur forme de polype solitaire.

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    Résultats de l'exposition à pH bas d' Oculina patagonica :
    A) Colonie d'Oculina patagonica maintenue à pH normal (8-8,3)
    B) Colonie d' Oculina patagonica maintenue à pH bas, le squelette est complètement dissout, le coenosarque a disparu et les polypes ont significativement augmenté en taille
    C) Colonie en cours de rétablissement après un retour à pH normal, la croissance du squelette a repris et le coenosarque se redéveloppe.

    3. Et le récifal dans tout ça ?

    La présentation de cet article dans ActuBioRécif peut paraître un peu hors sujet de prime abord, mais ce dernier présente toutefois des informations extrêmement intéressantes, sur l'impact d'un pH chroniquement faible dans nos aquariums. Ces informations restent à mon sens valables, même si une telle acidité n'est que très rarement atteinte dans les aquariums récifaux.

    En effet, après lecture il ressort qu'un pH chroniquement bas :

    • induira des nécroses, notamment au niveau du coenosarque
    • entraînera une augmentation de la masse polypiale des coraux (polype plus long et plus large)
    • ralentira la croissance en favorisant la dissolution du squelette
    • rendra les coraux plus sensibles à d'autres facteurs de stress, telles que les hautes températures par exemple
    • mais que finalement l'ensemble de ses effets sont réversibles une fois que les conditions de pH sont revenues à la normale.

    En dernière conclusion, il semble toutefois important de préciser que cette étude a été menée sur des coraux à gros polypes. L'impact d'un pH bas sur des coraux à petits polypes (type Acropora sp. ou Pocillopora sp.) reste donc inconnu. Cependant il est possible d'extrapoler que ces derniers supporteraient moins bien de telles conditions compte tenu de leur écologie très différente. En effet, il est probable qu'un petit polype seul ne puisse subvenir à ses besoins ; par sa petite taille il capturera proportionnellement moins de proies et de lumière qu’un polype de grande taille. De plus, sa capacité à rester accroché au substrat (donc sans squelette)  dans un milieu très brassé sera probablement insuffisante. Ces dernières réflexions restent cependant à vérifier, ce qui sera peut-être le sujet du prochain article de Maoz Fine et Dan Thernov. Pour finir, il est à noter que dans un numéro futur d'ActuBioRécif, un article étudiant plus finement l'impact physiologique d’un pH bas sera abordé.

    4. Stratégies expérimentales (pour les plus motivés) :

    Trente fragments d' Oculina patagonica et de Madracis pharencis ont été placés dans des aquariums où le pH était maintenu entre 7,3 et 7,6 (lots stressés) et trente autres dans des aquariums où le pH était naturel (eau de mer méditerranéenne, pH 8 à 8,3). Le pH a été abaissé par injection de CO2. La température a été maintenue entre 17°C et 30°C, et la lumière à une intensité de 270 µmol de photon/m² /seconde (PAR).

     

    Tous mes remerciements aux Acros de Cap récifal pour leur soutien, leurs remarques et leurs corrections. Je tiens également à remercier Maoz Fine et Dan Tchernov pour leurs autorisations.

     

    Jérémie VIDAL-DUPIOL

     

    Article publié par Cap Récifal le 15 septembre 2011 avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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