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  • Interactions macro-algues et coraux scléractiniaires


    Trevaly
    • Forte production, biodiversité élevée, complexité des interactions biotiques et des réseaux trophiques sont parmi les principales caractéristiques des récifs coralliens. Cet ensemble non exhaustif fait très nettement ressortir leur grande importance écologique. Par ailleurs, ils sont également le support économique de nombreuses activités humaines telles que la pêche, le tourisme, l'aquariologie mais aussi la médecine et la pharmacologie.

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    1. Pressions naturelles et anthropiques sur les récifs

    Oculina patagonica
    Algues diverses dans un aquarium récifal

    Les récifs coralliens souffrent d'une importante dégradation depuis maintenant plusieurs décennies. Ainsi, l'un des derniers bilans de l’état de santé des récifs coralliens à l'échelle mondiale montre que 19% des récifs sont irrémédiablement dégradés et ne présentent aucun signe de rétablissement, 20% manifestent tous les symptômes d’une dégradation imminente, et 20% risquent d’être affectés de façon critique dans les décennies à venir. Cette situation préoccupante est largement due à la récente augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements dits de perturbation qui affectent cet écosystème.

    Définitions :

    Macro-algue
    : Organisme aquatique, photosynthétique, composé de plusieurs cellules, par opposition aux micro-algues qui ne sont composées que d'une cellule.
    Biotique : Se dit de tout facteur ayant un rapport avec la vie
    Anthropique : dû à l'action humaine.

    Parmi ces derniers, nous pouvons citer les événements de blanchissement de masse, les explosions démographiques de prédateurs (Acanthaster plancii par exemple), les cyclones et les tsunamis ou encore les maladies coralliennes. Si les récifs coralliens ont dû faire face à ces perturbations naturelles depuis des millénaires, l'augmentation récente de la fréquence et de l'intensité des perturbations d'origine anthropique ne permet plus aux récifs de se rétablir après le passage d'une perturbation, et elle provoque ainsi des mortalités importantes, parfois massives, des coraux et de nombreux autres organismes du récif. Ainsi, le cumul entre les perturbations naturelles et anthropiques induit bien souvent une modification de la structure tridimensionnelle et du fonctionnement de l'écosystème, et conduit à son déséquilibre. Ces déséquilibres se manifestent notamment par une transition rapide (en quelques années) d’un écosystème dominé par les coraux à un écosystème dominé par les algues. C'est ce que l'on appelle le changement de phase, changement dont la durée et l'intensité seront dictées par le type et la puissance des pressions anthropiques locales. Parmi ces pressions anthropiques, l'une des principales qui joue un rôle en cas de changement de phase est la surpêche. En effet, de nombreuses espèces de poissons herbivores sont particulièrement appréciées. Citons par exemple certains chirurgiens (Naso unicornis appelé Ume en Polynésie), mais aussi l'ensemble des poissons perroquets. Cette surpêche induit une diminution de la pression de broutage sur le récif, et donc, favorise le développement des macro-algues. Leur croissance non contrôlée par les herbivores permet via un fort taux de croissance "d'étouffer" les coraux.

    Dans ce contexte, de nombreux auteurs cherchent à appréhender les interactions entre herbivores macro-algues et coraux. Ces recherches ont pour but de mieux comprendre les mécanismes de prédation et de compétition existant entre ces trois groupes afin de trouver des solutions permettant la réhabilitation d'un récif dégradé en récif sain. Les macro-algues sont des habitantes courantes de nos aquariums, désirables ou indésirables, tout aquariophile s'est vu un jour ou l'autre confronté à leur venue. C'est au travers d'un article publié dans l'éminente revue Proceeding of the National Academy of Science of the United States of America (PNAS du 25 mai 2010, volume 107, n°21, page 9683-9688 ; ) que certains des mécanismes régissant les interactions herbivores/macro-algues/coraux  vont être abordés dans ActuBioRecif n°3. Ainsi, l'article intitulé Chemically rich seaweeds poison corals when not controlled by herbivores (Des macro-algues chimiquement riches empoisonnent les coraux en l'absence d'herbivores) des auteurs Douglas Rasher et Mark Hay (Département de Biologie de l'Institut de Technologie de Georgie) permet d'apporter de bonnes bases de connaissances et de réflexions sur ce sujet. Dans cet article, les auteurs ont étudié les interactions entre ces trois groupes d'organismes en milieu naturel, mais aussi au travers de différentes méthodes chimiques et biochimiques afin de préciser les modes d'actions observés lors des expériences.

    2. Publication : " Des macro-algues chimiquement riches, empoisonnent les coraux en l'absence d'herbivores"

    2.1. Objectifs de l'étude

    Dans ce travail les auteurs décrivent et analysent les résultats d'expériences réalisées sur le terrain dans les Caraïbes et dans le Pacifique afin de mieux comprendre les mécanismes régissant les interactions de compétition entre une espèce de corail et plusieurs macro-algues. L'importance des pressions de broutage par les herbivores dans le contrôle des populations algales a également été appréhendée. Durant les 20 jours de l'expérimentation, l'état de santé des coraux a été évalué via une recherche des symptômes de blanchissement (perte des zooxanthelles sans atteinte à l'intégrité des tissus hôtes), de nécroses et des mesures de l'efficacité de la photosynthèse.

    2.2. Principaux résultats

    Au Panama (Caraïbes) la mise en contact direct du corail Porites porites avec les macro-algues Ochtodes secundaramea, Dictyota bartayresiana, Lobophora variegata, Halimeda opuntia et Amphiroa fragillisima a causé un blanchissement (2-30% de la surface du corail a blanchi), ce qui n'a pas été le cas avec Padina perindusiata ou Sargassum sp.  Ces données de blanchissement ont été confirmées par les mesures de l'efficacité de la photosynthèse. En effet, toutes les espèces de macro-algues ayant induit un blanchissement ont également affecté l'efficacité photosynthétique des zooxanthelles (chute de l'efficacité de 50 à 80%). De façon intéressante et logique, plus la zone corallienne était proche du point de contact corail/algue, plus cette zone était atteinte.

     
    Macro-algues caribéennes
    Oculina patagonica
    Dictyota bartayresiniana
    Oculina patagonica
    Sargassum sp.
    Oculina patagonica
    Lobophora variegata
    Oculina patagonica
    Halimeda opuntia
    Oculina patagonica
    Padina sp.
    ochtodes.jpg
    Ochtodes secundiramea
    Oculina patagonica
    Amphiroa sp.

     

    Sur le site Pacifique (Fiji), Porites cylindrica a souffert de blanchissement lors de contact avec Chlorodesmis fastigiata, Dictyota bartaysiana et Galaxaura filamentosa  (15-20% de la surface du corail) alors que Padina boryana, Liagora sp, Amphiroa crassa, Sargassum polycystum et Turbinaria conoides n’ont pas généré de blanchissement visible. Comme précédemment, les macro-algues ayant provoqué un blanchissement ont également affecté l'efficacité photosynthétique du symbiote. Cependant, certaines macro-algues (Sargassum polycystum, Turbinaria conoides et Amphiroa crassa) n'ayant pas causé de blanchissement ont affecté de façon significative la photosynthèse du symbiote.

     
    Macro-algues de l'Océan Pacifique
    Oculina patagonica
    Dictyota bartayresiniana
    Oculina patagonica
    Chlorodesmis fastigiata
    Oculina patagonica
    Turbinaria conoides
    Oculina patagonica
    Galaxaura filamentosa
    Oculina patagonica
    Liagora ceranoides
    Oculina patagonica
    Sargassum polycystum
    Oculina patagonica
    Padina boryana
    Oculina patagonica
    Amphiroa foliacea

     

    Afin de s'assurer que les symptômes mesurés sur les deux espèces de coraux étudiés ne sont pas liés à l'action mécanique du contact entre les macro-algues et le corail, les auteurs ont réalisé la même expérience en mimant les macro-algues par des matières neutres (laine par exemple). Ces dernières expériences ont montré que les leurres n'ont induit aucun symptôme et que ces derniers sont donc bien le fait des algues étudiées.

    Lipophile : du grec lipos (gras) et philéô (aimer). Molécule insoluble dans l'eau mais soluble dans les solvants organiques. Se dit d'un produit soluble dans les corps gras.
    Lipophobe : du grec lipos (gras) et phóbos (peur). Un produit lipophobe est insoluble dans les graisses.
    Allélopathie : Tout effet direct ou indirect, positif ou négatif, d'un organisme non mobile sur un autre organisme non mobile, par le biais de composés biochimiques libérés dans l'environnement. L'exemple classique est celui du noyer qui empêche les autres plantes de pousser près de lui.

    Compte tenu des résultats obtenus, les auteurs ont posé l'hypothèse que les macro-algues pouvaient sécréter des métabolites secondaires toxiques pour les coraux. Ce genre de molécules peut être principalement de 2 types, soluble dans l'eau (hydrophile et donc lipophobe) ou insoluble dans l'eau (hydrophobe et donc lipophile) et donc soluble dans les lipides. D'un point de vue évolutif il était peu probable que des toxines solubles dans l'eau soient secrétées. En effet, ces dernières seraient quasi immédiatement diluées et "éparpillées" par l'hydrodynamisme environnant. Une telle stratégie serait extrêmement coûteuse et peu efficace. A l'inverse, des substances lipophiles ne se dilueraient pas dans l'eau ce qui permettrait de garder ces molécules agglomérées les unes aux autres et donc d'atteindre des concentrations suffisantes pour que leur action biologique puisse être effective. Dans le but de tester ces hypothèses les auteurs ont effectué une extraction des métabolites secondaires liposolubles. Ces extras ont ensuite été ramenés à une concentration biologiquement réaliste, gélifiés et mis en contact avec les mêmes espèces de coraux. Après 24h de contact, les mesures de taux de blanchissement et d'efficacité photosynthétique ont montré des résultats en tout point comparables à ceux obtenus avec les macro-algues à l'origine des extractions. Ces données confirment les hypothèses posées par les auteurs et attestent que certaines macro-algues pratiquent l'allélopathie dans leurs interactions de compétition avec les coraux.

    Dans une dernière expérimentation les auteurs ont voulu tester l'impact des populations de brouteurs lors d'interactions macro-algue/corail. Ainsi la même expérimentation que précédemment a été réalisée (mise en contact algue/corail) sauf que cette fois les tables de culture n'étaient plus protégées par un grillage excluant poissons et autres animaux mobiles. Cette expérience a été menée sur 2 sites, une zone protégée et riche d'une grande biodiversité, et une zone non protégée et surpêchée. Au final, les coraux ont blanchi suite au contact avec les algues dans le deuxième cas, alors que dans le premier les poissons herbivores ont rapidement consommé les algues et permis aux coraux de rester en bonne santé. Fait intéressant, les auteurs ont observé que Chlorodesmis fastigiata (algue allélopathe) n'était consommée que par le poisson lapin Siganus argentus. Ainsi, un écroulement des populations de cette dernière espèce pourrait à lui seul induire un déséquilibre de l'écosystème. Par ailleurs Galaxaura filamentosa (algue allélopathe) fut l'algue la moins consommée de toutes.

    3. Et le récifal dans tout ça ?

    Oculina patagonicaAcropora sp. nécrosé par Bryopsis sp.

    En résumé cet article nous apprend que les interactions directes entre corail et macro-algues peuvent dans certains cas induire des blanchissements, des nécroses ainsi qu'une atteinte des mécanismes de photosynthèse. Ces dégâts sont le fruit de la sécrétion par les algues de substances toxiques de type liposoluble (donc insoluble dans l'eau). De façon intéressante, toutes les espèces d'algues testées ne présentent pas d'effet allélopathique, ces dernières utilisant certainement d'autres stratégies pour gagner la lutte contre les coraux. 

    Suite à la lecture de cet article, on peut se demander quel est le danger que représentent les macro-algues pour nos hôtes cnidaires et surtout comment y remédier.  Cependant, nous pouvons également nous poser des questions sur l'impact potentiellement négatif d'un refuge ou d'un filtre à algues qui abriterait des espèces allélopathes.

    Tout d'abord, il ressort de l'article que limiter les interactions directes algue/corail soit un premier gage de réussite dans la lutte pour une maintenance optimale. Par ailleurs un choix complémentaire de brouteurs vertébrés et invertébrés offrira une lutte biologique des plus efficaces. En effet, la diversité des espèces herbivores semble être un point clef à prendre en compte dans les prévisions de peuplement, puisqu'une grande diversité de brouteurs maximisera les chances de couvrir un vaste nombre d'espèces de macro-algues consommées et consommables.

    Dans le cadre des refuges et autres filtres à algues, il ressort de l'analyse des résultats qu'il est peu probable que les stratégies allélopathiques utilisées par certaines espèces de macro-algues puissent être problématique. En effet, le caractère lipophile des substances émises "garantit" à l'aquariophile que ces molécules devraient rapidement être extraites du système via l'écumeur. Il est par contre tout à fait judicieux de se demander quel serait l'impact de ces substances au sein d'un système dépourvu d'écumeur.

    Par ailleurs, cet article n'a traité que des molécules lipophiles et n'a pas tenu compte des substances hydrophiles qui pourraient être sécrétées par ces mêmes algues. En effet, même si une stratégie de sécrétion de telles substances semble peu avantageuse, il n'est pas possible d'exclure l'hypothèse qu'elles existent et soient utilisées. La réponse viendra peut-être dans un futur numéro d'ActuBioRécif.

     
    Macro-algues d'aquariums récifaux
    Oculina patagonica
    Caulerpa racemosa
    Oculina patagonica
    Dictyota sp. et Padina japonica
    Oculina patagonica
    halimeda opuntia
    Oculina patagonica
    Botryocladia leptopoda
    Oculina patagonica
    Grateloupia filicina
    Oculina patagonica
    Valonia aegagropila
    Oculina patagonica
    Rhodopeltis sp. et Caulerpa serrulata
    Oculina patagonica
    Bryopsis sp.
    Oculina patagonica
    Caulerpa sertularioïdes
    Chaetomorpha linum
    Chaetomorpha linum
    Oculina patagonica
    Caulerpa prolifera et.....
    Oculina patagonica
    ... d'autres espèces...

    4. Stratégies expérimentales (pour les plus motivés)

    4.1. Protocole expérimental

    Des boutures de taille identique (6-8 cm) de Porites porites (Caraïbe) et Porites cylindrica (Fiji) ont été réalisées et positionnées sur des tables de culture (fig. 1). Par la suite, des macro-algues des diverses espèces étudiées ont été récoltées avec leur support et positionnées en contact avec les boutures de coraux. Afin d'attester que les résultats ne sont pas dus au hasard, chaque expérience a été reproduite en 10 exemplaires. Chaque jour une plongée de contrôle a été réalisée afin d'attester de l'état de santé des coraux.

    Définitions :

    Strip gélifié
    : petite bande de gelée dans laquelle on peut inclure une molécule. Ce strip permet ensuite de laisser diffuser en continu la molécule qui y a été incluse.
    Photosystème II : Partie de la machinerie qui réalise la photosynthèse. Le photosystème II est le siège de la chaine d'oxydoréduction qui produit de l'énergie à partir des électrons issus de l'oxydation de la molécule d'eau. Il est nommé photosystème II, car il est le deuxième photosystème a avoir été découvert. Cependant d'un point du point de vu réactionnel il est le premier des 2 photosystème à être sollicité lors de la photosynthèse.
    Lyophilisat : Matière sèche obtenue après lyophilisation ou dessiccation. Ces deux derniers procédés permettent une élimination totale de l'eau.

    Oculina patagonica
    Fig. 1. Dispositif d’expérimentation en milieu naturel. (A) Table de culture, sur laquelle les boutures de coraux associées ou non à des macro-algue sont placées durant la période expérimentale. (B) Bouture de corail mise en contact avec une des macro-algue testées. (C) Bouture de corail mise en contact avec un strip gélifié contenant un extrait de macro-algue liposoluble, le strip est maintenu à l'aide d'un collier de serrage.

    4.2. Descripteur de l'état de santé des coraux

    Lors des plongées de contrôles, chaque bouture de corail a été photographiée. Les clichés obtenus ont par la suite été traités avec un logiciel d'analyse d'images qui a permis de mesurer l'intensité de la décoloration tissulaire, et la surface de la zone atteinte. L'efficacité de la photosynthèse a, quant à elle été mesurée grâce à un appareil nommé Pulse Amplitude Modulated Fluorimeter. Cet appareil permet de mesurer l'efficacité du photosystème II chez les organismes photosynthétiques.

    4.3. Extraction des métabolites secondaires liposolubles

    Pour chaque espèces d'algue, leurs tissus ont été broyés dans du méthanol. Par la suite l'extrait a été filtré puis évaporé afin de concentrer les molécules liposolubles. Les lyophilisats obtenus ont été dilués dans une solution d'acétate d'éthyle. Après dosage des extraits obtenus, un volume approprié d'extrait a été repris dans 1ml de méthanol afin d'obtenir des concentrations écologiquement réalistes en molécules bioactives. Le mélange obtenu a ensuite été inclus dans des strips gélifiés permettant d'immobiliser et de diffuser l'extrait. En contrôle, des strips gélifiés contenant du méthanol et de l'acétate d'éthyle seul ont été confectionnés.

     

    Tous mes remerciements aux Acros de Cap récifal pour leur soutien, leurs remarques et leurs corrections. Je tiens également à remercier Douglas Rasher et Mark Hay pour  l’autorisation d'utiliser leurs photos.

     

    Jérémie VIDAL-DUPIOL

     

    Article publié par Cap Récifal le 21 décembre 2011 avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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